Faire Douter
C’était le 7 décembre 2017 à Berlin. A 19h00. A la Volksbühne. Tout le monde était là. Le monde du cinéma de Berlin et d’ailleurs. A l’heure, heureux. Apichatpong Weerasethakul présentait ce soir-la Fever Room. Je ne savais pas à quoi m’attendre. J’avais déjà envie d’aimer.
Dans les salons de l’institution, le rouge franc des murs, le vert vif des bouteilles de riesling, rien n’a changé. Les lustres brillent à nouveau, même s’ils ne clignotent plus comme au soir de la réouverture confiée à Tino Sehgal à peine un mois plus tôt. Une nouvelle ère commençait alors. Une représentation sans point final ou tous nous étions retrouvés sur la scène à regarder cette grande salle vide de nous-même. Les vocalises des danseurs parmi nous allumant et éteignant les lustres a tempo ; Tino Sehgal organisant le contrôle des réseaux électriques de la Volksbühne comme Philippe Parreno ceux de la Tate Modern. Si bien que ce soir de décembre, on se demande bien ce que nous réserve Apichatpong Weerasethakul, mais on se demande aussi ce que nous réserve la nouvelle Volksbühne.
La cloche retentit. L’assemblée est plus qu’électrique. Mais les portes de la Große Haus restent closes. C’est par une simple petite porte derrière le bar que nous sommes invités à passer. File indienne, noir absolu. Nous traversons les coulisses, à s’effleurer de la main sans se toucher, de peur de se rattraper à un câble de scène et de créer une catastrophe. Alors sur les planches, le rideau de fer est baissé. Coupé de la salle, notre petit groupe s’installe à terre et se prépare à rêver. Déjà quelques point rouges dans le noir, LED des projecteurs prêts à projeter, sont familiers du monde de Joe.
Trois écrans descendent lentement pour nous entourer. Devant nous, sur la droite, sur la gauche. Un fleuve immense, une eau laiteuse. Le son d’un moteur qui pousse. Des passagers silencieux aux visages concentrés. Comme moi. Les têtes toutes proches des spectateurs devant moi se mêlent aux personnages sur les écrans. Je me tourne à droite, à gauche. Je cherche où nous mène ce bateau que nous partageons tous ici avec eux sur l’écran. Au loin sur les rives il ne se passe rien. Et cela dure, le temps se dilate. Je m’impatiente, me détends à nouveau. Un quatrième écran se place au dessus du premier face à nous. C’est la même image qui vient compléter le dispositif. Quel horrible mot, me dis-je ! Cela dure encore. Je commence à douter. De moi, du monde, de l’art. J’ai alors déjà fermé les yeux plusieurs fois mais sans parvenir à rêver.
Tout s’arrête soudain. Les écrans remontent tout là-haut pour se cacher, de honte je pense alors. Le rideau de scène remonte lui aussi. La scène s’ouvre alors à la salle. Celle-ci est vide bien sûr, mais la poursuite allumée face à nous éblouit comme elle réchauffe. Nous sommes de retour au théâtre pour une fraction de seconde. Et je ne regarde plus ni à droite ni à gauche, hypnotisé par ce face-à-face, pris dans le cône de lumière qui se met alors à tourner très doucement sur lui-même. Apichatpong est de retour. La lumière paralyse et réconforte, on est seul soudain. Libres de créer nos images, nos histoires, leurs couleurs, de revoir des enfants jouer avec un ballon en feu ou une luciole sur le bout du doigt d’un amant. De se perdre dans la jungle ou d’attendre dans un couloir d’hôpital. La lumière tourne de plus belle, vortex qui invite bientôt la matière à se laisser aller, les particules de fumée à danser. Le cône devient tunnel, les mouvements de l’air créent des volutes, je lévite.
La suite est difficile à décrire. Je ne peux dire avec certitude ce que j’ai vu ce soir là. Ce que j’ai pensé assis à même le sol de la scène de la Volksbühne. Dans cette fumée de plus en plus épaisse, des formes humaines, des ombres projetées, quelques hommes debout, nus peut-être. Soudain.
Apichatpong me transporte au bout de ce fleuve immense et en même temps dans le passé de ce lieu historique, faisant surgir les fantômes de sa réalité et ceux de ce théâtre politique Berlinois. Tous descendant les marches de la salle pour nous rejoindre sur scène. C’était le 7 décembre 2017 à Berlin. A 19h00. A la Volksbühne. Tout le monde était là. Le monde du cinéma de Berlin et d’ailleurs. A l’heure, heureux. Apichatpong Weerasethakul présentait ce soir-la Fever Room. Je ne savais pas à quoi m’attendre. J’avais déjà envie d’aimer.
Dans les salons de l’institution, le rouge franc des murs, le vert vif des bouteilles de riesling, rien n’a changé. Les lustres brillent à nouveau, même s’ils ne clignotent plus comme au soir de la réouverture confiée à Tino Sehgal à peine un mois plus tôt. Une nouvelle ère commençait alors. Une représentation sans point final ou tous nous étions retrouvés sur la scène à regarder cette grande salle vide de nous-même. Les vocalises des danseurs parmi nous allumant et éteignant les lustres a tempo ; Tino Sehgal organisant le contrôle des réseaux électriques de la Volksbühne comme Philippe Parreno ceux de la Tate Modern. Si bien que ce soir de décembre, on se demande bien ce que nous réserve Apichatpong Weerasethakul, mais on se demande aussi ce que nous réserve la nouvelle Volksbühne.
La cloche retentit. L’assemblée est plus qu’électrique. Mais les portes de la Große Haus restent closes. C’est par une simple petite porte derrière le bar que nous sommes invités à passer. File indienne, noir absolu. Nous traversons les coulisses, à s’effleurer de la main sans se toucher, de peur de se rattraper à un câble de scène et de créer une catastrophe. Alors sur les planches, le rideau de fer est baissé. Coupé de la salle, notre petit groupe s’installe à terre et se prépare à rêver. Déjà quelques point rouges dans le noir, LED des projecteurs prêts à projeter, sont familiers du monde de Joe.
Trois écrans descendent lentement pour nous entourer. Devant nous, sur la droite, sur la gauche. Un fleuve immense, une eau laiteuse. Le son d’un moteur qui pousse. Des passagers silencieux aux visages concentrés. Comme moi. Les têtes toutes proches des spectateurs devant moi se mêlent aux personnages sur les écrans. Je me tourne à droite, à gauche. Je cherche où nous mène ce bateau que nous partageons tous ici avec eux sur l’écran. Au loin sur les rives il ne se passe rien. Et cela dure, le temps se dilate. Je m’impatiente, me détends à nouveau. Un quatrième écran se place au dessus du premier face à nous. C’est la même image qui vient compléter le dispositif. Quel horrible mot, me dis-je ! Cela dure encore. Je commence à douter. De moi, du monde, de l’art. J’ai alors déjà fermé les yeux plusieurs fois mais sans parvenir à rêver.
Tout s’arrête soudain. Les écrans remontent tout là-haut pour se cacher, de honte je pense alors. Le rideau de scène remonte lui aussi. La scène s’ouvre alors à la salle. Celle-ci est vide bien sûr, mais la poursuite allumée face à nous éblouit comme elle réchauffe. Nous sommes de retour au théâtre pour une fraction de seconde. Et je ne regarde plus ni à droite ni à gauche, hypnotisé par ce face-à-face, pris dans le cône de lumière qui se met alors à tourner très doucement sur lui-même. Apichatpong est de retour. La lumière paralyse et réconforte, on est seul soudain. Libres de créer nos images, nos histoires, leurs couleurs, de revoir des enfants jouer avec un ballon en feu ou une luciole sur le bout du doigt d’un amant. De se perdre dans la jungle ou d’attendre dans un couloir d’hôpital. La lumière tourne de plus belle, vortex qui invite bientôt la matière à se laisser aller, les particules de fumée à danser. Le cône devient tunnel, les mouvements de l’air créent des volutes, je lévite.
La suite est difficile à décrire. Je ne peux dire avec certitude ce que j’ai vu ce soir là. Ce que j’ai pensé assis à même le sol de la scène de la Volksbühne. Dans cette fumée de plus en plus épaisse, des formes humaines, des ombres projetées, quelques hommes debout, nus peut-être. Soudain.
Apichatpong me transporte au bout de ce fleuve immense et en même temps dans le passé de ce lieu historique, faisant surgir les fantômes de sa réalité et ceux de ce théâtre politique Berlinois. Tous descendant les marches de la salle pour nous rejoindre sur scène.
Ensuite, je ne me souviens plus de rien.